Place
aux émotions

Interviews intégrales
Dans cette série d’interviews , des experts sont réunis aux regards complémentaires de thématiques telles que la data émotionnelle, la direction artistique, la stratégie de marque dans le but d'explorer un enjeu essentiel :
Comment activer les émotions positives pour incarner une marque mémorable auprès d’une audience en quête de sens (génération Z) ?
Au fil des échanges, découvrez des perspectives pointues et toujours éclairantes.
Marie Argence

Marie Argence
PDG et fondatrice d’Emoticonect Tech, une application destinée à mesurer les émotions des consommateurs, et à « réparer » ce qui ne va pas chez les marques…
Comment définissez-vous la “data émotionnelle” dans votre approche ?
Notre approche est basée sur l’observation et la détection d’indice neuro-cognitif dans
l’ensemble des interactions essentiellement numériques. Nous avons travaillé pendant près
de 6 ans sur le rapprochement entre les expressions écrites, notamment transmises sur les réseaux sociaux, et l’impact réel de ces messages sur la personne ciblée et les populations.
Ainsi la “data émotionnelle” concerne ce rapprochement entre l’état de l’art neuroscientifique et les comportements Humain.
Pourquoi cette approche est aussi importante pour les marques aujourd’hui ?
L’approche émotionnelle n’est pas une révolution puisque c’est la base du marketing depuis
toujours. En revanche, l’approche historique relève de la subjectivité d’une équipe dédiée à
une marque, d’enquêtes de “satisfaction” auprès d’un public ciblé et déjà au fait qd’être
soumis à une étude pour une marque, donc, rien que le mot “satisfaction” empêche l’objectivité. Ce qui est important aujourd’hui est de se concentrer sur l’action et la personnalisation. Une approche comme celle d’Emoticonnect permet d’accélérer le processus d’application de l’amélioration et également la rapidité de détection des signaux faibles pour en faire des priorités. Cela apporte une valeur ajoutée immense pour les
marques qui souhaitent être à l’écoute de la précision des ressentis et adapter leurs stratégies vers de l’hyper-personnalisation.
Quelles émotions (positives) favorisent le plus leur engagement ou leur
fidélité ?
Les émotions qui créent le plus de lien et de fidélité, ce sont celles qui touchent au cœur : la confiance, le sentiment d’être compris, et la reconnaissance. Quand une personne sent qu’on l’écoute vraiment, qu’on la respecte et qu’on lui simplifie la vie, elle revient naturellement.
Pour capter ces émotions, on peut utiliser des outils comme l’analyse émotionnelle prédictive (par exemple avec Emoticonnect), mais aussi des questionnaires plus sensibles ou des retours à chaud qui laissent de la place à l’émotion. Ce qui compte, c’est de ne pas se contenter de mesurer la satisfaction, mais d’écouter ce qui se dit entre les lignes.
Quels sont les signaux émotionnels que vous analysez le plus chez les
jeunes publics ? Plutôt du langage, des réactions comportementales, des
codes visuels ? Comment cela se traduit ?
Avec Emoticonnect, chez les jeunes publics, nous analysons en priorité trois types de
signaux émotionnels :
1. Le langage émotionnel implicite : les jeunes utilisent souvent des tournures indirectes, des emojis, de l’ironie ou des expressions codées pour exprimer leurs ressentis. Notre IA capte ces nuances, même quand l’émotion n’est pas dite clairement.
2. Les réactions comportementales : changement de rythme de publication, désengagement soudain, commentaires plus courts ou plus agressifs... ce sont autant d’indices émotionnels que nous croisons pour détecter un mal-être ou une perte d’intérêt.
3. Les codes visuels et symboliques : dans les stories, les photos ou les vidéos, certains filtres, couleurs ou mèmes peuvent signaler une émotion dominante.
Emoticonnect apprend à les décrypter selon les contextes culturels et générationnels.
En combinant ces signaux, Emoticonnect restitue une cartographie fine du climat émotionnel
d’une communauté jeune – utile pour prévenir les décrochages, améliorer l’expérience ou tout simplement créer du lien authentique.
Selon vous, comment va évoluer le rapport entre émotion et consommation
chez les jeunes dans les prochaines années ?
Je pense que dans les années à venir, le lien entre émotion et consommation chez les
jeunes va devenir encore plus intime, presque instinctif. Ce ne sera plus juste une question
de produits ou de prix, mais de ressenti, d’alignement, de sens.
Les jeunes ne veulent plus acheter pour avoir, mais pour ressentir quelque chose. Se reconnaître dans une marque, se sentir compris, soutenu, voire inspiré. Ils attendent des marques qu’elles leur parlent avec sincérité, qu’elles s’engagent, et surtout qu’elles créent une relation. Une vraie. Pas une promesse marketing creuse.
Et surtout, ils sont très sensibles aux émotions qu’on leur envoie – volontairement ou non. Ils sentent quand c’est forcé, quand c’est opportuniste, quand c’est déconnecté de leur réalité.
À l’inverse, une marque qui agit avec justesse, qui ose montrer sa vulnérabilité, qui crée de l’émotion pour de vrai... elle marque les esprits. C’est là que des outils comme Emoticonnect ont un rôle à jouer : aider à écouter mieux, à comprendre plus finement ce que les jeunes ressentent, et à créer des expériences qui leur parlent vraiment. Parce qu’au fond, ce que les jeunes recherchent, ce n’est pas juste consommer. C’est se sentir vivants, connectés, et respectés.

Avez-vous un exemple d’insight émotionnel fort qui a changé la direction
créative / le message d’une marque ou d’une campagne ?
Bien sûr, voici un cas d’usage concret réalisé par notre équipe :
Lors de la venue de Taylor Swift à Paris en mai 2024, Emoticonnect a analysé des milliers
de messages publiés en amont du concert, et un signal émotionnel inattendu est remonté
très fortement : le stress lié à l’accessibilité de la salle.
Au-delà de l’excitation et de l’attente joyeuse, on a perçu une véritable anxiété chez
beaucoup de fans — notamment les plus jeunes, ceux venant seuls, ou les personnes en
situation de handicap. Les émotions dominantes n’étaient pas liées au concert en lui-même,
mais à l’arrivée sur place : “Est-ce que je vais trouver l’entrée ?”, “Et si je suis en retard à cause du RER ?”, “Je suis en fauteuil, est-ce qu’on va vraiment m’aider ?”. Ces messages
disaient tous, en creux : « j’ai peur de ne pas être à la hauteur de ce moment que j’attends depuis des mois ».
C’est là que l’insight émotionnel a pris tout son sens. Le véritable enjeu n’était pas la performance scénique, mais l’expérience vécue dès les premières minutes d’arrivée à la salle. Grâce à cette lecture, certaines équipes ont adapté leur communication : mise en avant des accès simplifiés, présence de bénévoles plus visibles, informations claires et rassurantes partagées sur les réseaux.
Ce que cette analyse nous a appris, c’est qu’un événement peut être grandiose, mais s’il génère de l’angoisse dès l’entrée, l’émotion vécue est fragilisée. L’émotion, chez les jeunes publics, ne commence pas au premier morceau. Elle commence à la sortie du métro.